Le rôle des échanges agricoles dans la réduction des inégalités
Ces dernières décennies, si les échanges internationaux ont alimenté la croissance économique et permis de réduire la pauvreté dans le monde entier, ses bénéfices sont inéquitablement distribués au sein des pays et entre eux. Ekaterina Kimonos, de l’Organisation des Nations Unies pour l’agriculture et l’alimentation, examine la manière dont la politique commerciale peut contribuer à des échanges plus inclusifs dans le secteur agricole.
Le commerce est un moteur de croissance économique
Ces dernières décennies, le commerce international – accompagné de l’adoption des technologies, de la réduction des coûts du transport et de la libéralisation des finances – a stimulé la croissance économique dans le monde entier, et contribué à la réduction de la pauvreté. Toutefois, la relation entre libéralisation commerciale et inégalité salariale reste controversée compte tenu de ses effets hétérogènes entre les pays, les secteurs, les catégories de travailleurs et les ménages.
Les effets généralement positifs d’une plus grande intégration commerciale sur les économies cachent souvent d’importantes disparités dans la distribution des bénéfices au sein des pays ; les ménages riches et urbains en profitent, tandis que les ménages ruraux pauvres et les travailleurs non qualifiés en retirent moins de bénéfices, voire même des effets négatifs. Cela s’explique en partie par les rigidités du marché, particulièrement répandues dans les pays en développement, notamment l’absence de redistribution importante de la main d’œuvre entre les secteurs.
Les échanges agricoles peuvent atténuer ou exacerber les inégalités
La pauvreté est disproportionnellement concentrée dans les zones rurales, où l’agriculture demeure la principale activité de subsistance. Si la croissance des échanges agricoles s’est ralentie par rapport aux décennies précédentes, et devrait rester relativement faible, ces échanges restent une source importante de revenus dans les pays en développement. Depuis 1990, la part des pays en développement dans les exportations agroalimentaires mondiales est passée d’environ un tiers à près de la moitié aujourd’hui, principalement grâce aux réformes des politiques commerciales adoptées par ces pays.
La modification des mesures de politique commerciale (par ex. les droits de douane, les quotas, ou les taxes sur les exportations) a des effets immédiats sur les inégalités en modifiant la production économique, les prix, l’emploi, les salaires, la consommation et les recettes gouvernementales. En général, l’ouverture commerciale stimule les revenus dans les secteurs compétitifs grâce à un meilleur accès aux marchés étrangers et à la croissance des exportations. Toutefois, la réduction des obstacles commerciaux dans les secteurs en concurrence avec les importations, tels que l’agriculture, où persistent les échecs du marché et ses asymétries, entraîne souvent une baisse des recettes, des salaires, et de l’emploi dans les zones rurales, forçant certains agriculteurs à abandonner tout bonnement le secteur.
À long terme, les effets des échanges sur le transfert de technologies, la productivité, la concurrence, les structures de commercialisation, l’investissement et le développement d’infrastructures jouent également un rôle dans la détermination des changements dans les recettes, les niveaux de pauvreté et les inégalités. Les implications pour l’emploi et les budgets gouvernementaux sont particulièrement importantes, tant pour la génération et le soutien des revenus que pour garantir l’accès aux programmes et services publics essentiels, qui ont tous des implications à long terme pour le bien-être des segments les plus pauvres de la population et leur mobilité sociale.
Dans le même temps, l’expansion du commerce bénéficie généralement aux consommateurs, qui ont accès à des aliments moins chers et plus diverses, ce qui a des effets positifs sur leur nutrition et leur santé, et génère au final de meilleures opportunités économiques et une meilleure inclusion pour les pauvres. Pour résoudre les problèmes historiques d’inégalités, il est essentiel de lutter contre la malnutrition infantile grâce à l’accès à des régimes alimentaires plus sains et variés, notamment grâce aux échanges.
Les effets disparates de l’ouverture commerciale par groupe de population
Les effets des échanges peuvent varier grandement en fonction du niveau d’études et du sexe, et ont des implications plus larges sur les inégalités au sein des ménages et dans la société en général. L’obtention de l’accès à de nouveaux marchés dans les secteurs intensifs en main d’œuvre féminine (les exportations textiles ou de fleurs par exemple) peut générer de meilleurs salaires pour les femmes, qui s’est avéré améliorer la nutrition, la santé et la scolarisation des enfants, affectant positivement toute leur vie. Si, en revanche, l’ouverture commerciale soutient la demande dans les industries traditionnellement masculines, telles que l’extraction minière ou la pêche, tout en exposant les secteurs intensifs en main d’œuvre féminine à davantage de concurrence, cela peut saper l’indépendance financière des femmes, et, en l’absence de filets de sécurité sociaux, pousser les ménages dirigés par des femmes dans la précarité.
Les effets de l’ouverture commerciale fortement hétérogènes pour différents secteurs économiques et segments de la population exacerbent potentiellement les inégalités.
Aussi, les effets de l’ouverture commerciale fortement hétérogènes pour différents secteurs économiques et segments de la population exacerbent potentiellement les inégalités, notamment si la mobilité de la main d’œuvre entre les secteurs est limitée.
Des mesures complémentaires sont nécessaires pour parvenir à une meilleure équité
L’une des contraintes à une distribution plus équitable des gains des échanges agricoles est l’inefficacité des politiques adoptées pour répondre aux inégalités et problèmes structurels sous-jacents. Il s’agit par exemple de programmes sociaux et de développement agricole mal ciblés ou insuffisamment financés ; la discrimination sexospécifique ou la marginalisation de groupes particuliers (par exemple les peuples autochtones ou les travailleurs migrants) dans l’accès aux ressources productives ; les obstacles persistants auxquels les pauvres, les femmes et les jeunes font face dans l’accès aux crédits, aux savoir-faire et aux marchés ; et le pouvoir excessif du marché dans les sections des chaînes de valeur agricole relatives à la transformation et à la commercialisation.
Le développement des opportunités commerciales doit s’accompagner de politiques budgétaires robustes permettant de réduire les inégalités au moyen de la redistribution et en ciblant mieux les dépenses gouvernementales en faveur des filets de sécurité, de l’éducation et des programmes de formation professionnelle qui élargissent les opportunités d’emploi.
C’est pourquoi le développement des opportunités commerciales doit s’accompagner de politiques budgétaires robustes permettant de réduire les inégalités au moyen de la redistribution et en ciblant mieux les dépenses gouvernementales en faveur des filets de sécurité, de l’éducation et des programmes de formation professionnelle qui élargissent les opportunités d’emploi, notamment pour les populations rurales et les pauvres urbains.
Améliorer l’inclusivité du commerce exige une analyse rigoureuse et des actions décisives
Les gouvernements devraient être attentifs aux effets redistributifs de leurs politiques commerciales, et commencer par identifier et développer proactivement les concessions qui découlent inévitablement de toute réforme, en adoptant des mesures complémentaires pour veiller à ce que les bénéfices soient partagés plus équitablement, tant au sein des pays, qu’entre eux. Ces décisions politiques doivent se fonder sur des évaluations ex-ante des effets redistributifs des mesures commerciales. Par ailleurs, les réformes politiques précédentes – par exemple celles découlant d’accords commerciaux – doivent être évaluées pour bien comprendre leurs effets sur les revenus, l’égalité entre les sexes, les opportunités pour les jeunes et l’inclusion sociale, dans le but d’en tirer les leçons pour l’avenir.
Pour faire en sorte que le commerce soit plus inclusif, il est urgent de garantir un meilleur accès à l’éducation, la formation, l’information et à des programmes ciblés soutenant la mobilité géographique et entre les secteurs des travailleurs.
Pour veiller à ce que les échanges agricoles produisent des bénéfices généralisés, il faut des efforts ciblés pour garantir un accès et des opportunités économiques égaux pour les femmes, les jeunes, les agriculteurs pauvres et les autres groupes vulnérables. En vue de réduire les éventuels effets négatifs de l’exposition à une plus grande concurrence découlant des importations alimentaires, les petits agriculteurs doivent avoir accès aux finances, aux intrants, aux savoir-faire et aux marchés, et disposer d’opportunités viables pour diversifier leurs sources de revenus, y compris dans d’autres secteurs.
Pour faire en sorte que le commerce soit plus inclusif, il est urgent de garantir un meilleur accès à l’éducation, la formation, l’information et à des programmes ciblés soutenant la mobilité géographique et entre les secteurs des travailleurs, particulièrement bénéfiques pour la population jeune croissante des pays à faibles et moyens revenus. Une telle approche concertée permettrait d’exploiter le pouvoir des échanges pour parvenir et soutenir une croissance généralisée des revenus, la réduction de la pauvreté et une plus grande équité.
Ekaterina Kimonos est économiste en chef à la Division des marchés et du commerce de l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) des Nations Unies.
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